Posté le 06.10.2014 à 9h46
Succédant à Jean-Jacques Bernard et à Serge Kaganski, c’est la journaliste et critique Danièle Heymann qui a reçu le mardi 14 octobre le Prix Bernard Chardère 2014.
"Le prix Bernard Chardère ? Pour moi ? Vraiment ? J’ai d’abord été surprise, heureusement surprise. Et maintenant je suis fière, tout simplement, de me sentir adoubée par des frères en cinéphilie que j’estime et que j’admire. De chétives étoiles remplacent trop souvent désormais dans les journaux, l’espace que nous avions dans les temps anciens (les miens !), pour tenter de faire aimer les films. Raison de plus pour se réjouir qu’au cœur de ce beau Festival Lumière, on s’entête à distinguer une pratique menacée. Pas d’inquiétude, cependant. Même auréolée de MON Prix Bernard Chardère, je ne vais pas prendre la grosse tête. Ayant depuis longtemps fait mien ce lucide constat du cher vieux La Bruyère : « La critique souvent n’est pas une science, c’est un métier où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie ». La critique ? Oui, on peut dire que j’ai l’habitude…"
Danièle Heymann
Le prix Bernard Chardère, du nom du fondateur lyonnais de Positif en 1952 et qui fut le premier directeur de l’Institut Lumière, est décerné pendant le festival Lumière. En écho aux qualités que Chardère aura manifestées durant sa carrière, il consacre une personnalité pour sa « contribution au métier de journaliste et critique de cinéma, et pour sa cinéphilie, son style, sa curiosité et son humour. » Bref, le portrait idéal de Danièle Heymann.
Fille du cinéaste Claude Heymann (1907-1994) qui fut aussi le coscénariste de Ophuls et d’Henri Calef et l’assistant de Renoir et Buñuel, Danièle Heymann a connu son tout premier travail salarié à la Cinémathèque française d’Henri Langlois et Mary Merson.
Après en avoir dirigé longtemps les pages culturelles, elle a été rédactrice en chef à L’Express et au Monde. En 1996, elle a publié, en collaboration avec Jean-Pierre Dufreigne, Le Roman de Cannes à l’occasion du cinquantième anniversaire du Festival (TF1 Editions) et a dirigé de 1977 à 2006 la publication annuelle de L’Année du cinéma (Calmann Lévy). Elle est actuellement titulaire de la rubrique cinéma à l’hebdomadaire Marianne, et appartient à l’équipe cinéma du Masque et la plume sur France Inter.
Partout où elle passe, Danièle Heymann affirme un goût sûr, qui ne ménage pas un cinéma pour un autre, et à travers lequel elle assume des convictions fortes qui laissent aussi la place à la chaleur et l’enthousiasme. Car c’est une femme généreuse que le festival Lumière va recevoir, une de celles dont l’autorité se mêle de tolérance et de doute et dont la place est allée grandissante avec les années. Aujourd’hui Danièle Heymann écrit à Marianne où elle ambitionne avec la même énergie de faire œuvre d’exigence et de pédagogie, comme dans ses apparitions le dimanche soir au Masque et la Plume où on l’écoute se confronter sans ménagement aux nouvelles pousses de la critique.
Consacrant principalement sa vie professionnelle au cinéma, Danièle Heymann a également écrit sur la chanson et la littérature.
Elle a été membre du Jury du Festival de Cannes 1987 (Palme d’or : Sous le soleil de Satan de Maurice Pialat, voir ci-dessous), et continue d’animer à Cannes des conférences de presse et des rencontres.
A lire
http://www.marianne.net/Les-classiques-contre-attaquent_a225420.html
Etre critique de cinéma
Par Danièle Heymann
Quand mon père, le cinéaste Claude Heymann, eut six ans, il dit : « Je voudrais être Dieu pour aller au cinéma sans payer. » L’amour du cinéma est donc chez moi génétique, congénital, héréditaire. Critique, c’est autre chose. Qui m’a donné le droit, la légitimité de jauger, de juger, de critiquer ? Je n’ai cessé de me poser cette question, sans y apporter de réponse confortable. Il faut dire que ma première expérience en la matière fut traumatisante. J’étais jeune, c’était il y a longtemps, au siècle dernier. À France-Soir où je débutais, grouillote multicartes à la rubrique Spectacles, Robert Chazal, le critique de cinéma en titre, homme de haute stature et de haute probité, m’avait prise sous son aile. « Veux-tu t’exercer à rédiger quelques notules critiques ? » me proposa-t-il un jour. J’exultais, je tremblais, je m’exécutais. Une notule, deux notules, ça va. La troisième notule, attention les dégâts. Il s’agissait de rendre compte, brièvement, d’un film avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. Une comédie, bien entendu, que je n’avais sans doute pas trouvée drôle. En quelques lignes meurtrières dictées la nuit aux « sténos », je l’exécutai. Dès la « tombée » du journal, je recevais un coup de téléphone navré de mon mentor, Robert Chazal : « Ma pauvre petite, ta carrière de critique à France-Soir est terminée. Tu ne savais donc pas que Roger Pierre et Jean-Marc Thibault étaient des amis de la maison ? ». Je ne savais pas… Mais je puis affirmer sans rire que ce genre de pression… amicale m’a par la suite été épargnée, à L’Express d’abord, puis au Monde. À Marianne aujourd’hui. M’en est cependant resté ce doute, cette interrogation : « Qui t’a faite critique ? » Et puis Jérôme Garcin m’a appelée pour rejoindre son équipe, et d’une certaine manière, il m’a rassurée. Depuis, j’ai ma place dans le… club ? La troupe ? Le cercle ? La bande ? Le gang ? Enfin, bref, je suis au Masque et la Plume.